
Originaire du sud-ouest, Céline Perdriel est formée à l’ISIPCA de 2000 à 2002. Suite à son apprentissage chez Synarome, elle y commence sa carrière en tant que parfumeur analyste. Après plusieurs années passionnantes passées à décortiquer les formules, elle se tourne vers la création et devient élève parfumeure.
Recrutée par Givaudan, elle rejoint ensuite l’équipe de dix-huit parfumeurs basée à Paris boulevard Kleber. Dédiée au compte L’Oréal Luxe, elle travaille en soutien aux parfumeurs France et US. Elle y signe notamment Legend de Montblanc avec Olivier Pescheux, Divina pour La Perla avec Antoine Lie, ou encore Cerrutti 1881 Fairplay cosigné avec A. Lie également.
Elle est ensuite recrutée par Azur Fragrance où elle passera six années, puis part à Grasse, avant d’être contactée par Alexandrine Demachy qui la fait revenir à Paris pour ouvrir le bureau parisien de Cosmo International Fragrances, où elle officie depuis cinq années en tant que parfumeure senior.
Si les vingt années d’expériences de Céline lui ont permis de travailler sur différents supports olfactifs, elle se concentre aujourd’hui principalement sur la fine fragrance et les bougies premium. Bien que la contrainte technique soit faible sur ces supports, la créativité est sans cesse challengée, et l’art est un moyen de la nourrir.

Sculptrice à ses heures, Céline a beaucoup d’admiration pour Rodin et ses disciples, Camille Claudel et Bourdel : « Ce que j’aime avant tout, c’est le travail de la matière. Au sein d’une même structure, il y a du lisse et du plus rugueux, des détails extrêmement travaillés et d’autres volontairement plus flous. Dans Le Baiser de Rodin, par exemple, le détail du pied est absolument fascinant. Souvent, ce sont précisément les éléments qui paraissent les plus simples qui sont, en réalité, les plus complexes à réaliser. »
La Valse de C. Claudel fait partie de ses œuvres préférées : « Je trouve cette œuvre absolument fascinante : au-delà du mouvement, il s’en dégage un véritable équilibre. Les personnages semblent portés, presque projetés par l’élan. Cette recherche de formes et de textures résonne profondément avec mon travail de parfumeur, notamment pour Atelier Materi, qui me briefe très souvent à partir d’images d’architecture. »

Crée en 1994 par Angelin Preljocaj pour l’Opéra de Paris, le ballet Le Parc a une forme d’intemporalité. Tentant de répondre à la question « Qu’en est-il aujourd’hui de l’amour ? » Le pas de deux durant lequel un baiser se transforme en un tourbillon de deux corps semblant s’envoler est aujourd’hui devenu emblématique. Pour Céline, c’est un ballet d’émotions : « Ayant pratiqué la danse classique jusqu’à mes 18 ans, ce ballet m’a vraiment marquée. C’est une poésie. Il y a toujours le mouvement, ici avec une légèreté, une épure. C’est quelque chose que j’adore. »
Dans son métier de parfumeur, Céline a besoin d’une bulle de création : « Je crée toujours en musique. J’ai besoin d’un paysage sonore qui me mette en condition, avec des morceaux que j’aime et que je connais bien. Le Duo des fleurs de Lakmé, interprété par Maria Callas, par exemple, est d’une fluidité incroyable. Même les paroles, en français, sont inspirantes : elles évoquent les fleurs, le jasmin, le muguet. Je me souviens aussi que, pour Alone Together, créé pour Perfumehead, le client m’avait briefée à travers une playlist que j’avais écoutée en boucle lors du processus créatif. J’avais adoré cette approche. »

Céline avoue être « hypnotisée » par la peinture de Léonard De Vinci. Elle apprécie également beaucoup le travail de Damien Hirst, présenté en 2022 à la Fondation Cartier. Lors d’une récente visite au musée du Prado de Madrid, deux œuvres ont également retenu son attention : The house among the roses de Claude Monet et Le jardin des délices de Jérôme Bosh.
Mais si Céline ne devait retenir qu’un artiste, ce serait Renoir : « Je trouve qu’il y a une lumière absolument saisissante dans ses peintures. À l’image du contraste que l’on cherche à créer en parfumerie, je suis profondément fascinée par ce travail sur la lumière. Le Portrait de Jeanne Samary en est un magnifique exemple. »

Le support qui permet à la parfumeure d’imaginer le plus les odeurs reste probablement les livres ! Quel que soit le livre, elle imagine l’environnement olfactif qui se cache à travers les lignes : « Il y a un livre qui m’a profondément marquée et dont je me souviens avoir immédiatement imaginé les odeurs à la lecture : Anna Karénine de Tolstoï. Toute son atmosphère, du train aux appartements, m’a semblé intensément olfactive. J’imaginais l’héroïne elle-même très parfumée, avec des notes poudrées et cuirées. J’associe ce roman au cuir, aux accents fumés d’un feu de cheminée, à la fourrure. J’ai aussi adoré Les Piliers de la Terre de Ken Follett. Je trouve que l’odeur manque aux livres ! Et pourtant, en lisant, chacun façonne instinctivement son propre imaginaire olfactif : les mots, les descriptions, les atmosphères éveillent des sensations, des souvenirs, des parfums intérieurs qui n’existent que pour le lecteur. Cette capacité à sentir par l’imagination me fascine. C’est d’ailleurs dans cette envie d’encourager l’éveil olfactif que j’ai récemment collaboré à l’écriture du Manuel d’éveil olfactif pour petits et grands, avec les Éditions Nez. »

eL Seed est un artiste urbain qui élève la calligraphie arabe au rang d’art, art qu’il met au service de messages de paix et de fraternité. Pour la parfumeure, c’est un univers inspirant : « C’est un artiste que j’ai découvert dans une galerie street art de Miami et que j’adore. Il mélange sculpture et peinture, graphe de vieilles bâtisses dans le désert… Il a notamment créé toute une structure devant l’opéra de Dubaï : une calligraphie rose sur béton, contrastée, jouant avec le volume et la matière, qui m’avait inspiré une note oud framboise pour un salon de parfumerie à Dubaï, j’espère un jour pouvoir la lui faire sentir ! »
Céline Perdriel entretient un rapport intime à l’art : « Je ne peux pas visiter une ville sans visiter au moins un musée. » En Inde par exemple, les couleurs et l’or des temples, des sculptures de Ganesh, l’ont particulièrement marquée : « L’Inde est un pays qui m’a profondément transformée avec son intensité olfactive incroyable. Mon professeur de yoga ashtanga est originaire de Pondichéry, où nous sommes allés y faire un stage il y a quelques années. Ce voyage a été un véritable choc sensoriel : tout sent, partout, sans aucun répit pour le nez. De retour, j’ai ressenti un besoin presque instinctif de travailler le jasmin et les notes découvertes là-bas. Les couronnes de jasmin sambac restent un souvenir olfactif majeur, tout comme l’authentique chaï tea latte, inoubliable. »
Pour Céline, l’Art a un côté visionnaire : « Je trouve qu’une œuvre d’art est véritablement aboutie lorsqu’elle devient intemporelle, lorsqu’on ne peut plus la situer dans une époque précise. Le travail d’enluminure par exemple, qui est un savoir-faire ancestral, a pour moi quelque chose de très moderne dans les personnages, les regards. »
Cela lui semble cependant difficile d’appliquer cette règle au parfum : « La question de la conservation, voire de la refabrication, des parfums historiques se pose inévitablement. Il est aujourd’hui difficile de ressentir exactement l’intention de Germaine Cellier lorsqu’elle crée Bandit pour Piguet en 1944 : les formules ont évolué, les matières premières naturelles ne sont plus les mêmes. Pourtant, pour moi, un parfum est un organisme vivant. Shalimar de Guerlain, par exemple, est devenu la matrice de nombreuses créations qui lui font écho, comme Le Lion de Chanel. Il existe là une forme d’intemporalité. Ce qui me fascine, c’est d’identifier ce qui a ancré un parfum dans son époque, puis de le réinterpréter, de le faire vivre autrement. »
Je tiens à remercier sincèrement Céline Perdriel pour sa confiance et sa disponibilité lors de cet échange inspiré.
