Parfum & Musique, Focus sur L’Orchestre Parfum : rencontre avec Pierre Guguen

« Amplifier l’émotion », telle est la vocation de l’Orchestre Parfum qui lie pour cela le parfum à la musique.

Pour Pierre Guguen, fondateur de la marque ayant précisément pour passion ces deux domaines, cette transesthésie (nom donné à la synesthésie musique/odeur) va s’imposer comme une évidence.

Diplômé de l’ESC Toulouse Business School, Pierre débute sa carrière chez PUIG à Barcelone. Durant cinq années, il travaille pour Carolina Herrera puis Comme des Garçons (CDG) : « Le concept de matérialiser une idée, un rêve, un fantasme avec quelque chose d’immatériel, je trouvais ça fascinant ! » Il débute ainsi sa carrière auprès de personnalités inspirantes telles que Rei Kawakubo, Adrian Joffe chez CDG, Rosendo Mateu, responsable de la cellule olfactive, Anne-Laure Hennequin, responsable de la formation, ou encore les parfumeurs Jean-Christophe Herault avec qui il lance Amazingreen, puis Nathalie Feisthauer et Antoine Maisondieu pour the Blue series.

Parallèlement à cela, Pierre, auteur-compositeur-interprète, crée son groupe de musique de chanson française « un peu punk », et se produit régulièrement à Barcelone : « On a nos petits QG au fin fond du Raval qui sont toujours complets comme le Gipsy lou, on a même joué au Razzmatazz. Sauf que dans ce groupe de gens qui nous suivent, il y a peut-être 10% de gens qui comprennent le français. »

Pierre pense alors au parfum, et fait appel à son amie Elisa Tzedakis, alors élève parfumeur chez Firmenich Barcelone, qui lui propose une note illustrant une des chansons du groupe : la réaction est immédiate, le public est très réceptif, l’odeur ajoute indiscutablement une dimension au concert et offre une lecture différente : « C’était assez incroyable, sans le savoir les gens me disaient dans leur langue des mots que je disais dans la chanson ! »

Fort de ces expériences, renforcées par une vision artistique globale (telle que l’exposition proposée au Musée de la Piscine de Roubaix mettant en scène la rétrospective de Christian Astuguevieille, directeur artistique parfum de CDG, qui propose un parcours olfactif en partenariat avec Givaudan) Pierre a à cœur de continuer à développer ce sujet de synesthésie qui devient central dans sa démarche.

De retour à Paris, il rejoint l’Oréal où il travaille notamment pour Viktor & Rolf, et continue la musique avec un concert solo intitulé Voyage dans tous les sens, concert durant lequel la musique illustre un continent, lui-même illustré par un parfum, ou un encens, ou encore un chocolat à déguster. Poussé par un esprit entrepreneurial et par l’émergence de marques de niche telles que Le Labo, Pierre décide alors de ne pas choisir entre parfum et musique et de créer l’Orchestre Parfum avec pour vocation de répondre à la question : « Quelle est l’odeur de la musique ? »

Partant du postulat qu’il n’y a pas de musique sans musicien/musicienne et pas de musicien/musicienne sans instrument de musique, il pousse la porte d’un petit atelier de lutherie à Paris, près de Bastille, qui fabrique des violons, des violoncelles et des violes de gambes (instrument baroque du XVIe), et découvre un monde d’odeurs ! Odeurs de bois, de vernis, de bois froid, de bois chaud, de bois travaillé, frotté, laqué, collé… A partir de ce moment, il trouve l’angle de sa marque : les parfums seront musicaux via les matières premières qui rendent hommage à l’instrument, puis le parfum sera mis en musique.

Dans le même temps, Pierre découvre l’existence du pianiste russe de la fin du XIXe Alexandre Scriabine, connu pour être l’un des pères de la synesthésie, via l’une de ses partitions dénichée dans une librairie musicale. Artiste mystique, Scriabine débute sa carrière à vingt-trois ans à St-Petersbourg, et se fixe pour objectif d’organiser « le dernier concert avant la fin du monde » : dans les contreforts de l’Himalaya, il souhaite s’entourer d’autres musiciens, faire brûler de l’encens à certains moments de l’œuvre, proposer à des peintres de peindre en live de grandes toiles en liberté totale selon leur ressenti de la musique, tout en ayant des intervenants interpelant le public de manière physique afin que les cinq sens soient sollicités et que la synesthésie soit totale.
Scriabine compose donc un opéra intitulé Mysterium qu’il laisse inachevé avant sa disparition : « A la découverte de cette partition, je sens que j’ai quelque chose d’important dans les mains, car dans les annotations il parle de parfum, décrivant par exemple un passage « léger comme une effluve de jasmin » et donc je me dis, il n’a pas eu le temps d’aller au bout de sa démarche, je vais la continuer ! Et ça me donne vraiment le courage de démarrer cette aventure entrepreneuriale, et je prends avec moi cet artiste, son énergie, son rêve et on va le partager ensemble ! »

Aujourd’hui, l’Orchestre Parfum est une marque présente dans plus de trente pays, avec deux cent cinquante boutiques, et composée de bientôt quatorze fragrances musicales créées par de grands parfumeurs tels que Nathalie Feisthauer ou Jean Jacques et interprétées par des virtuoses tels que Gautier Capuçon ou Zag Erlat :
« Pour que cela fonctionne il faut trouver le bon parfumeur et le bon musicien. Je cherche donc des souvenirs dans lesquels musiques et parfums sont très liés (un voyage, une expérience, ou encore un concert) puis j’en parle avec le parfumeur. J’arrive avec un instrument et/ou une ambiance musicale, par exemple le côté synthétique aldéhydé de la fragrance Mono cachemire qui évoque les sons électriques, électroniques, synthétiques de la musique lo-fi qui harmonise les sens, qui calme. Et une fois que j’ai cela, je vais chercher un musicien ou une musicienne enclin à accepter ce challenge créatif, je lui donne le parfum et son histoire et je lui demande d’en faire une musique : ce ne sont donc que des œuvres originales créées pour l’Orchestre Parfum. »

Pour Pierre Guguen, le but est de continuer à faire vivre cette expérience live : pour chaque lancement parfum, il organise un concert avec le parfumeur et le musicien, à Paris ou ailleurs. En Février 2020, cinq musiciens et musiciennes ont été réunis pour un show polysensoriel du Bon Marché, s’en sont suivis d’autres évènements, format DJ électro, ou concert classique.
Selon Pierre, notes de musique et notes olfactives ont la même vie chimique : « Cela naît du cœur ou du cerveau d’un artiste, puis vit dans l’air de manière très éphémère, dix secondes, une minute ou une heure… Mais c’est un véhicule artistique et émotionnel tellement puissant que cela peut projeter ailleurs, faire pleurer, faire frissonner, faire repenser à des personnes aimées ou non. C’est quelque chose que j’ai compris en faisant mes concerts et qui est au cœur de l’ADN de la marque : parfum et musique ont le même véhicule chimique, et donc de fait, sont miscibles. »

En 2025, l’Orchestre Parfum va continuer la soirée techno de Bouquet encore avec une quatorzième création qui s’annonce addictive… Lancement en septembre !

Crédit photo : © l’orchestre parfum