Parfum & Musique, Interview olfactive d’Axelle Saint-Cirel

Axelle Saint-Cirel est chanteuse lyrique et fait ses débuts dans sa carrière de chanteuse d’opéra : « Je tiens à faire le distinguo entre chanteuse lyrique et chanteuse d’opéra car je considère que ce titre se mérite. Je préfère garder une certaine humilité. On peut se qualifier chanteuse d’opéra une fois que l’on interprète des rôles à l’opéra. »

Après avoir passé une partie de son enfance en Malaisie, Axelle rejoint l’Est de la France où elle commence à chanter au sein d’un chœur. Elle effectue son cursus musical au Conservatoire du Pays de Montbéliard durant une dizaine d’années. Elle y travaille la pratique instrumentale (piano), y démarre son cursus vocal, apprend à lire une partition, débute son apprentissage des langues, rencontre la musique de différents compositeurs : « J’ai aussi choisi ce métier pour cette raison, car c’est un apprentissage qui ne s’arrête jamais. Pour travailler le rôle d’un opéra, on passe par de nombreuses étapes : on découvre la partition (la musique), le livret (les textes), puis on étudie le personnage à interpréter. On apprend la musique en fonction de la langue. » Outre le français, Axelle chante en anglais, en italien, en allemand, et en latin pour les musiques sacrées « C’est le minimum requis. Je peux également lire le cyrillique et chanter le russe de façon intelligible, mais je ne parle pas encore la langue. »
L’opéra est un art très complet, au delà d’étudier tous styles de musiques, il implique de s’intéresser au cinéma, à la peinture, à l’Histoire, … Son adolescence oscille entre l’école d’un côté, et le théâtre, le solfège, la musique, et différentes options telles que la danse baroque ou le jazz de l’autre. Grâce au jazz, Axelle rencontre des artistes tels qu’Anne Paceo, commence à voyager, fait ses premiers cachets.

Axelle quitte alors Montbéliard pour Paris où elle passera deux années de conservatoire au Pôle Supérieur en alternance entre la fac de musique de la Sorbonne, et le CRR de Boulogne Billancourt. Afin d’intégrer un cursus plus complet qui inclut de la danse, des cours de diction lyrique ou encore de dramaturgie, elle passe et obtient le très concurrentiel concours d’entrée du Conservatoire Supérieur de Paris : « Avant d’entrer au Conservatoire, on se dit, il va falloir y entrer, quand on y est, on se dit qu’il faut faire ses preuves mais que la formation est assurée, et lorsque l’on en sort, on sait que c’est une longue route à suivre avant d’atteindre la destination et la carrière souhaitée. Je suis une personne qui aime les défis de la vie et les challenges. C’est ce même trait de caractère qui m’a accompagnée dans l’aventure des Jeux Olympiques »
Axelle s’épanouit alors dans sa nouvelle vie parisienne et découvre par elle-même toutes les subtilités du métier : de la programmation des différentes salles de spectacles à l’environnement télévisuel. Elle s’inspire de chanteuses qui auront su ouvrir les portes de l’Opéra et apporter de la diversité dans un domaine où elles sont peu nombreuses telles que Jessis Norman, Grace Bumbry, ou encore Barbara Hendricks. Un flambeau qu’Axelle portera tout spécialement suite à sa participation au concours Les voix des Outre-Mer où elle rencontrera notamment Fabrice di Falco. Via ce concours, ce dernier met en lumière les chanteurs des Outre-Mer, régions où les conservatoires diplômant se font très rares. Elle en sort finaliste et reçoit le prix d’encouragement en 2021 avant d’être Lauréate et de gagner le Grand prix en 2023.
Suite à ce concours, elle est reçue sur différents programmes télévisés tels que Le Grand Échiquier ou Culture Box. Elle y rencontre notamment la pianiste Khatia Buniatishvili, la chorégraphe Carolyn Carlson, ou encore Daphnée Burki (directrice stylisme et costumes dans le cadre des JO de Paris 2024).
Parallèlement à cela, Axelle rejoint l’académie Opéra for Peace qui lui permet de s’ouvrir à l’international en rencontrant de grands professionnels du milieu opératique tels que Sumi Jo, Brian Jagde, ou encore Ailyn Pérez : « Grâce à cette académie, je pense que j’ai mis les bouchées doubles. Car entre le moment où on te considère comme débutant, et celui où tu deviens professionnel, le temps passe très vite. »

La mise en lumière des JO, couplée à son travail, à son approche particulièrement humaine du métier, et à son adaptabilité à chanter dans différents registres du fait de sa formation, font aujourd’hui d’Axelle une étoile montante du milieu opératique. Elle vient d’ailleurs de se produire à l’opéra de Monte Carlo dans L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel dans le rôle de « Maman » et intègrera Young Singers Program du Festspiele de Salzburg.

© Sophie Kilian

Une odeur d’enfance ?

Pendant les vacances, nous allions aux Antilles dans la maison de l’une de mes grandes-tantes en Guadeloupe. Là-bas, quand on atterrit sur l’île, l’air chaud sent le fruit. Dans cette maison, il y avait une très forte odeur de bois, un peu comme de l’ébène. C’était une odeur très spécifique, quelque chose que je ne retrouve que dans ce salon, où il y avait d’ailleurs un piano. Mélangé à l’air ambiant, cela donnait un mélange entre la paille chauffée, le bois, et une brise dense et fruitée.

Une odeur culinaire ?

Le durian. Petite je pense que je mangeais ce fruit typique des régions d’Asie juste pour me prouver que j’étais suffisamment brave pour le faire. C’est très particulier, surtout quand on le mange dans un pays chaud. Car cela reste un fruit, qui, quand tu t’en approches est sucré, c’est assez agréable. Mais il suffit de s’en éloigner un tout petit peu pour avoir l’impression de quelque chose d’assez difficile, et repoussant, surtout pour les personnes non habituées : c’est un peu comme une personne qui arriverait en France et n’aurait pas l’habitude de sentir un camembert. Avec le temps, cela devient plus agréable car c’est une odeur que l’on identifie.
C’était aussi un apprentissage de politesse, mes parents me disaient : « Tu prends ce que l’on t’offre. », et cela m’a servie par la suite dans ma vie professionnelle, quand j’ai voyagé, je me souviens avoir mangé un hot pot (fondue chinoise) avec à l’intérieur, différents aliments qui n’avaient pas, au premier abord l’air appréciable, mais qui se sont avérés surprenants et gustativement intéressants.

Un parfum de voyage ?

La Soufrière en Guadeloupe, dont l’odeur de soufre reflète bien son nom. Le soufre est réputé pour être très bon pour la peau, notamment dans des bains, de ce fait, pour moi c’est une odeur qui relève du soin, je l’ai plutôt associée à ses bienfaits, et, bien que cela ne sente pas très bon, je ne l’ai pas intégré comme quelque chose de désagréable.

L’odeur d’un lieu ?

L’encens, dans les églises ou dans les temples. Car cela a été une grande partie de mon enfance et c’est quelque chose que j’appréciais. Dans n’importe quelle forme d’encens, il y a une relation spirituelle. C’est quelque chose qui m’apaise car je l’associe à des lieux de recueillement. C’est drôle de voir comme dans n’importe quelle civilisation, on se sert de cette fumée odorante pour purifier l’atmosphère. Et au final, où que l’on aille il y aura toujours un endroit où on va brûler quelque chose qui a une odeur qui, de façon universelle, apaise.

Un souvenir olfactif particulier ?

L’odeur du froid. Ou plutôt l’absence d’odeur dans des endroits très froids. En Malaisie il y avait un lieu qui présentait des sculptures de glace, c’était un lieu fermé, et la transition entre l’extérieur (où l’air sentait un peu la fleur blanche, le frangipanier) et cet endroit, pour moi cela sentait le froid (ce qui est étrange car cela n’a pas d’odeur!)
J’ai retrouvé cela récemment en partant en vacances en Suède pour faire du snowboard. J’ai redécouvert cette sensation et je me suis dit que cela faisait des années que je n’avais pas senti cela, le fait de ne pas avoir d’odeurs, car nous avons l’habitude d’être entourés d’odeurs.

Une odeur aimée ?

L’odeur des peaux. Non parfumées. Je préfère reconnaître l’odeur de la peau de mes partenaires de vie, car c’est très particulier, et je sais que je ne le retrouverai chez personne d’autre.

Une odeur détestée ?

L’odeur de charogne. Cela m’est arrivé une fois de voir une carcasse de tortue sur une plage. Avec la chaleur, et l’immobilité, elle était passée en état de décomposition. Là aussi c’est quelque chose qui n’est pas identifiable. Et l’odeur des choses en décomposition, quelles qu’elles soient, que ce soit de l’eau croupie, ou un résidu de nourriture, cela me dérange beaucoup.

Quel est votre rapport au parfum ?

Pour moi, c’est une façon de se présenter au monde, aux personnes. De la même façon que l’on va interpréter un rôle à l’opéra, en fonction du parfum que l’on porte, on va chercher à faire passer un message. C’est aussi une identité. Cela fait un moment que je n’ai pas porté de parfum car je me sentais en évolution dans ma vie et je ne savais plus ce qui me correspondait, quel message je voulais faire passer. Globalement j’aime porter ce qui me fait me sentir bien à ce moment de ma vie. J’aime les notes rosées, un peu cosmétiques, violette, comme la bougie Loose lips de chez Byredo, pour moi il y a un rapport à la scène, aux notes poudrées du maquillage. J’aime aussi beaucoup l’univers du cabaret, des pin-up, ce qui tend à sentir le soir, l’ambiance de la nuit. J’aime la vanille, mais travaillée de manière discrète, élégante, je n’aime pas les parfums trop opulents.

Si la musique était une odeur ?

Le papier. Cela changera peut-être, mais pour l’instant j’ai passé tellement de temps le nez dans les partitions que c’est quelque chose de très particulier pour moi. Aujourd’hui c’est beaucoup plus simple d’avoir une tablette, car un opéra c’est très épais, c’est lourd, mais je reste très attachée aux partitions papier. Je suis une personne qui aime la calligraphie, et l’odeur de l’encre me plaît beaucoup aussi. Et je ne parle pas des partitions modernes, au papier fin avec une encre à l’odeur un peu âcre/acide, mais les partitions anciennes, sur un papier grain, avec une encre qui sent l’encre, ça j’adore !

Avez-vous déjà participé à des projets multisensoriels ?

J’aimerais beaucoup. En l’occurrence avec les parfums, car ma sœur Yolenn est dans le milieu. Et je me suis rendue compte avec ses études que, toute notre vie, nous sommes entourés d’odeurs. Et nous n’avons pas forcément conscience de tout ce que cela regroupe comme souvenirs, comme sensations.
Pour autant, je trouve que cela est un exercice difficile dans le sens où la musique vocale regroupe déjà une mélodie et des paroles, y ajouter une odeur, cela fait beaucoup d’informations. Il faut que le tout soit très cohérent pour que cela fonctionne.
J’avais assisté au concert Trilogie Cocteau / Philip Glass des sœurs Labèque à la Philharmonie, mis en parfums par Francis Kurkdjian, mais c’était de la musique instrumentale. La musique vocale amène un challenge supplémentaire, le risque étant de se concentrer ou sur les paroles, ou sur les odeurs. L’idéal serait peut-être de développer des parfums en lien avec les paroles. Aujourd’hui, ayant étoffé mon répertoire, je pense que je saurais mieux quoi proposer. A suivre donc !…

Quel est pour vous le lien entre art et parfum ?

Je trouve qu’il y a des similitudes dans le sens où on part de quelque chose qui existe pour créer quelque chose de nouveau. Personnellement en tant que chanteuse classique, je ne suis pas dans la création, je n’écris pas les textes et ne compose pas les partitions. Mais en tant qu’interprète, je vais devoir me les approprier, proposer quelque chose de nouveau sur une base existante.
J’ai l’impression que c’est la même chose avec les matières premières en parfumerie, qui sont utilisées différemment en fonction de ce que le parfumeur veut dire. Musicalement si on prend l’harmonie, c’est assez similaire aux notes de tête, de cœur, et de fond d’un parfum : il y a une mélodie initiale, une première idée, puis on va harmoniser cette idée, c’est à dire lui donner une certaine profondeur, et enfin on va la personnaliser, lui donner la dynamique choisie afin de faire passer un message précis.

© Philippe Lopez

Pour Axelle, la musique classique, et l’opéra en particulier, est avant tout un moment d’unité comme il n’en existe nulle part ailleurs. C’est un univers au centre duquel une personne, le chef d’orchestre, va faire en sorte que tout le monde respire au même moment : « C’est comme une transe, il y a une personne au centre qui gère l’énergie de soixante-dix personnes, plus les chanteurs. C’est incroyable ! »
Pour autant, Axelle avoue découvrir aujourd’hui davantage les subtilités de son métier : « Jusqu’à présent j’avais un pied dans mon métier et un pied dans mes études. Je suis aujourd’hui confrontée à la réalité du métier, aux choix à faire, à un milieu de la culture qui ne va pas forcément bien. » alors si on lui demande ce qu’est être une chanteuse lyrique, elle répond simplement : « Je vous invite à le découvrir avec moi ! »

Quelques mois après son passage aux JO, Axelle Saint-Cirel fait ses débuts à l’opéra, prépare des récitals aux Antilles et à Paris, et se souvient avec nostalgie de son premier visionnage du film Carmen de Francesco Rosi, durant lequel, au moment du chant Les remparts de Séville, elle avait dit à sa sœur : « Un jour je serai capable de chanter comme ça ! » …