Parfum & Musique, Interview Olfactive de Gabriel Pidoux

Né dans une famille de musiciens, de parents tous deux violoncellistes tout comme son grand-père Roland Pidoux, Gabriel commence tout naturellement le violon, instrument dont jouait sa grand-mère, à l’âge de trois ans et demi. Trois ans plus tard, il découvre le hautbois lors d’un stage de musique. Il quitte alors l’univers familial des cordes pour rejoindre celui des instruments à vent, univers qui deviendra le sien.
Après avoir débuté dans un conservatoire d’arrondissement à Paris, il suit un parcours scolaire en horaires aménagés et obtient son bac Technologique Musique et Danse avec mention. Suite à quoi, après une année de perfectionnement, il rejoint le Conservatoire National Supérieur de Paris et obtient son master en 2020. Parallèlement à cela, Gabriel est nommé aux Victoires de la Musique Classique et est lauréat de la Victoire de la Révélation soliste instrumental. Il devient alors en quelque sorte l’ambassadeur d’une nouvelle génération de hautboïstes, tout en se spécialisant en free-lance dans le hautbois historique ce qui lui permet de participer à des projets allant du concerto avec orchestre à Hong Kong, à l’orchestre du Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence.

L’odeur de votre enfance ?

Dans la rue à côté de la maison où j’ai grandi, à Paris rue de Belleville, il y avait un cordonnier. J’adorais passer devant car je trouvais que cela sentait super bon, c’est une odeur que j’aimais beaucoup, un mix de cuir et de cirage, très prenant, pour moi il y a des tons aigus dans cette odeur, quelque chose qui vient taper dans le haut du nez. C’est mon premier souvenir olfactif.

Une odeur culinaire ?

J’ai beaucoup d’affinités avec les goûts fumés. L’odeur d’une saucisse de Morteau à la découpe en sortie de cuisson par exemple me régale. A l’inverse je n’aime pas la fadeur de l’odeur des haricots plats en train de cuire, mais peut-être est-ce parce que c’était ce que cuisinait ma mère le mercredi avant les cours de solfège…

Une odeur de voyage ?

Je suis allé plusieurs fois à Hong Kong, la ville est magique, en revanche dans les rues olfactivement c’est horrible, l’air est vidé de toute bonne odeur, et empli d’une odeur neutre, putride et moite. Les gens sur place l’expliquent en disant que la clim prend tout ce qu’il y a de bon dans l’air pour le mettre à l’intérieur, et rejette le mauvais à l’extérieur. C’est très prenant, pour moi c’est la signature olfactive de cette ville.

L’odeur d’un lieu ?

L’odeur des églises. Pour moi l’église est avant tout l’endroit où ont lieu tous les concerts. En suivant mes parents dans les festivals d’été depuis tout petit, j’ai dormi dans des églises pendant les concerts, à 21h, en Provence ou ailleurs, des églises où il a fait chaud toute la journée et où le soir il fait frais, c’est agréable, avec parfois encore quelques odeurs d’encens. Tout cela mêlé au parfum des vieilles dames qui se pomponnent pour venir écouter de la musique classique. Voilà c’est une espèce de mélange d’odeurs qui me rappelle ces moments où j’étais heureux, avec mon frère et ma sœur, mon père, ma mère, à écouter le concert avant le repas d’après concert qui était toujours une fête ! L’odeur de l’église pour moi c’est cela, c’est ce moment de la jeunesse insouciante, une odeur nostalgique.

Un souvenir olfactif marquant ?

L’odeur de la colophane, cela vient de mes parents car c’est ce que l’on utilise pour mettre sur les archets. C’est une note que je retrouve aussi dans le parfum Encre Noire de Lalique, parfum que mon père a porté.

Votre odeur préférée ?

L’odeur de la lande autour du bassin d’Arcachon. Les épines de pin avec le sable un peu humide, et le bruit de l’eau. Les forêt de pins, j’y ai passé des heures enfant, lorsque j’allais rendre visite à ma grand-mère. C’est magique cette odeur.

Celle que vous détestez ?

Celle du tarmac de l’aéroport. Quand on a attendu une heure le vol qui est en retard, que l’on se retrouve dehors et que ça sent le kérosène… C’est tellement chimique, cela tape dans le haut de la tête. Ça je n’aime vraiment pas.

Si la musique était une odeur ?

Cela dépend. Cela dépend quelle musique, cela dépend où, quelle époque aussi.
Pour le Baroque, la musique de Bach ou de Vivaldi, je l’associe à ce côté très sec et craquelant de cette odeur de colophane, comme un bois trop sec, qui d’un coup de vent fait entendre un son très sec de bois qui craque.
Ensuite si on part sur du Romantique, comme une symphonie de Brahms, là ce seront des odeurs beaucoup plus suaves, mais avec aussi quelque chose de miséreux, une odeur un peu plus coulante, aqueuse, d’eau de mer, un peu triste.
En revanche un salé solaire, comme le sel fou, qui pétille, pour moi cela correspond à la période Classique, Mozart, Haydn, cette musique qui est légère, que tout le monde comprend, même sans savoir pourquoi, cela rassure, c’est lumineux, réconfortant comme un rayon de soleil sur le sable chaud.

L’odeur du hautbois ?

Le hautbois, il sent le hautbois ! Il y a une odeur magique, cela va sans doute surprendre, mais quand on ouvre la boîte d’un hautbois neuf, ça sent le bois mêlé au poisson ! C’est une odeur qui vient du traitement du bois, du séchage, c’est un bois très sec, très noir, qui a été très lustré. Le hautbois neuf, c’est une odeur que tous les hautboïstes connaissent, c’est une émotion de recevoir l’instrument que l’on a choisi, c’est une odeur que l’on n’oublie pas.

Votre lien au parfum ?

Personnellement je porte Un jardin en Méditerranée de chez Hermès, quand je sors ou quand je me prépare pour un concert, me parfumer est la petite touche finale qui conclut ma préparation. Cela m’apporte un sentiment de confort et me donne confiance car cela signifie que j’ai pris le temps d’arriver jusqu’à ce « point d’orgue » et que je suis fin prêt à y aller.
D’ailleurs j’aime aussi les gens parfumés, l’odeur du parfum qui s’additionne à l’odeur de la personne, je trouve cela très agréable. Surtout que la plupart des gens ne sentent plus leur propre parfum, c’est un petit geste du quotidien qui s’adresse aux autres et témoigne donc d’une certaine générosité !
Je me souviens aussi de l’odeur du parfum Klorane bébé avec lequel on se parfumait enfants avec mon frère et ma sœur, ainsi que les parfums de mes parents notamment celui de ma mère, qui portait L’eau d’Hadrien d’Annick Goutal. Ces odeurs, que je ne sens plus aujourd’hui, me plongent dans une nostalgie certaine. J’ai l’impression qu’une odeur ne s’oublie jamais.

En musique classique, la question de savoir si l’interprète est un artiste ou un artisan se pose parfois. Gabriel explique qu’en tant qu’interprète, la place pour l’artistique est très restreinte. La lecture des traités d’interprétation, des cahiers d’études, pour comprendre la manière dont la musique était interprétée à une certaine époque, tout cela donne beaucoup d’indications sur comment la musique doit être jouée, ce qui finalement laisse très peu de place à l’interprète pour s’exprimer : la note doit durer un temps défini, l’ornementation est définie par le style de l’époque, l’interprète a donc une marge de manœuvre infime, et pourtant, deux interprètes ne joueront jamais sensiblement la même chose. De ce fait : l’interprète est-il un artisan ultra qualifié ou un artiste ? La question reste posée.

Pour Gabriel Pidoux : « L’artisan fait de l’art. Nous sommes les artisans d’un art plus grand. », en ce qui concerne le parfum, il considère la démarche créative comme indéniablement artistique si toutefois elle consiste bien à créer et non à reproduire : « Dans un orchestre par exemple, le chef prend le lead artistique dans les réglages du tempo, des nuances générales, et demande à tous les artisans que nous sommes de s’y tenir, en laissant uniquement parfois échapper un peu de folie et de beauté dans un solo. De la même manière, pour moi, si le parfumeur doit reproduire une odeur qui existe déjà, ou suivre un cahier des charges très défini, alors il redevient artisan. »