
Après un bac littéraire filière cinéma et arts plastiques, Lou Saveria, qui souhaite devenir photographe, étudie tout d’abord la photographie. Elle suit ensuite une formation de fleuriste, et réunit aujourd’hui ces deux univers en tant que styliste floral.
Le spectre des fleurs étant assez large, de la partie boutique à la partie évènementielle, le côté plus marketing, photo, publicité s’est vite imposé à elle. Le fait d’avoir tout d’abord travaillé la photographie et passé beaucoup de temps sur des shootings, l’a assez naturellement orientée vers cette spécialité, très visuelle, dans l’image.
Mais la construction, le côté décor, la fabrication d’une pièce, la création d’une composition, voire d’objets (masques végétaux, tressage de paniers, utilisation d’un matériau organique pour faire un objet) constitue un travail de recherche créative qui la passionne également.
Malentendante, Lou est particulièrement sensible aux odeurs et a développé son sens olfactif dès son plus jeune âge. Les parfums des gens, des pièces, des bâtiments, jouent un rôle central dans sa perception des choses. C’est pourquoi l’univers du parfum l’attire et l’inspire : « Je trouve qu’il y a quelque chose de très direct, évident, dans l’interprétation visuelle d’un parfum, un peu comme quand on illustre un poème. Le fait de montrer quelque chose qui se sent, de créer une forme d’attraction visuelle afin de donner envie au consommateur de venir sentir le parfum. »
La toute première marque de parfum avec laquelle elle collabore est Valentino, s’en suivront Atelier Cologne, Diptyque, Dior, Yves Saint Laurent ou encore Carolina Herrera : « Les parfums/cosmétiques constituent la majeure partie de mon activité, mais je travaille aussi régulièrement des projets mode, accessoires, bijoux, ou maroquinerie. Il m’est aussi arrivé de fleurir pour des clips, des concerts, des évènements type dîners, conférences, et beaucoup d’éditos. Dans ce dernier cas c’est un exercice plus narratif que commercial, on cherche plus à raconter une histoire qu’à vendre un produit. »
Dans le cadre du domaine parfum/cosmétique, son travail s’organise principalement autour du sourcing des ingrédients qui composent le produit.
Le brief comporte des informations sur le produit, sa composition, mais aussi souvent des directions artistiques de lumière plus ou moins précises, des couleurs, des variétés de fleurs souhaitées : « Selon les projets, cela peut être très cadré, les ingrédients à illustrer sont définis d’entrée de jeu, il arrive même que les directeurs artistiques dessinent l’image qu’ils souhaitent obtenir. Par exemple pour Carolina Herrera c’était très précis avec le bois placé d’une certaine manière, les feuilles de violette, le type de noix de coco voulu. D’autres fois le brief est plus ouvert, avec juste des couleurs ou une ambiance, on me laisse alors plus de place pour donner mon avis et apporter mon interprétation. »
Il arrive également qu’un produit soit illustré avec des ingrédients qui ne sont pas réellement dans sa formule, soit pour des raison de saisonnalité (le jasmin ne fleurissant pas toute l’année, il faut parfois trouver des alternatives pour respecter le timing du shooting), soit parce que cela fait partie d’une démarche marketing afin de coller à la vision du consommateur : « Je me souviens d’un projet pour Dior, on m’avait demandé de sourcer une fleur de frangipanier pour une crème au monoï, or il s’avère que les deux fleurs sont différentes, mais dans l’esprit collectif, le monoï est cette fleur blanche au cœur jaune. »
Découvrons l’univers olfactif de cette designer florale pour qui l’odorat joue un rôle central.

Un odeur d’enfance ?
Corse, j’ai grandi dans le maquis dans la région montagneuse de l’Alta Rocca. Donc il y a un rapport aux odeurs de la nature, selon s’il faut chaud, s’il fait froid, s’il fait jour, s’il fait nuit… Toute mon enfance est entourée des odeurs de la nature corse. Et cette odeur de maquis varie en fonction du village. Personnellement j’en ai deux en mémoire, deux régions différentes où le maquis a un parfum très différent. Là où j’ai grandi, en montage, ce sont plutôt les chênes, les pins, il fait un peu plus froid, c’est le granit, la bruyère. Chez ma grand-mère, où j’allais passer l’été, près des calanques de Piana, le maquis est beaucoup plus sec, c’est plus la myrte et l’immortelle qui dominent.
Un souvenir culinaire ?
La fritanga. C’est pied noir, c’est une préparation à base de poivrons, de tomates et surtout de laurier. Le laurier quand il chauffe, il embaume et s’accorde avec l’acidité du poivron, ce côté charnu, solaire.
Le placard à épices de ma grand-mère est aussi un souvenir olfactif marquant. C’est une odeur unique car propre au mélange des épices qu’elle utilise elle. Pour moi c’est une vraie madeleine de Proust.
L’odeur d’un lieu ?
L’odeur très ronde et lourde des mauvaises odeurs, humaines, un peu sales, dérangeantes, du métro parisien qui contraste avec celle du métro de Berlin, où j’ai vécu quelques temps, que je trouve plus agréable, une odeur de machines, métallique, minérale.
Le parfum d’un être cher ?
Petite, mon père portait Habit Rouge de Guerlain, pour moi c’est le Chanel N°5 masculin. Mais celui qui n’a jamais changé c’est celui de mon grand-père qui portait Egoïste de Chanel, c’est un parfum unique, élégant, propre, intemporel, avec une fraicheur qui me rappelle l’eau de cologne et notamment l’eau d’orange verte que ma grand-mère portait et avec laquelle je parfume parfois mon fils.
Le parfum d’une fleur ?
Hormis l’immortelle qui me renvoie à mon enfance, dans le cadre de mon activité j’ai particulièrement aimé travailler le mimosa. Je le connecte à quelque chose de froid, puisque c’est une fleur qui pousse en hiver, mais c’est doux.
Les fleurs blanches comme la tubéreuse ou le narcisse n’ont pas ma préférence, je les trouve trop envahissantes. Mais il y a certaines roses parfumées qui sentent aussi très bon, et qui gardent ce côté plus herbacé, végétal. Il y a un rosiériste incroyable, qui s’appelle Jean-Claude Boucreux, qui cultive des roses parfumées. J’en ai achetées une fois pour une installation pour le concert d’un groupe oriental fusion qui s’appelle Mauvais Œil.
Vos odeurs préférées ?
Le café moulu, plus que celle de la boisson en elle-même, je ne m’en lasserai jamais. Le pain chaud aussi. Et celle de la laque, qui me rappelle mes années de danse classique, ce moment unique de la représentation, le coiffage, le maquillage.
Celles que vous détestez ?
Celle de la pollution, des pots d’échappements.
Votre parfum ?
Santal 33 de la marque Le Labo. J’aime les noms de parfums qui mettent en avant les ingrédients, j’aime aussi les notes unisexes. C’est un très beau parfum, un tour de force, très présent mais pas écrasant. Je trouve qu’il complète une personnalité et s’adapte à la personne qui le porte, homme ou femme.
Je porte aussi l’huile Imiza, une huile sèche à base d’huile essentielle d’immortelle.
Un souvenir olfactif ?
Le tiroir à dessin du bureau de ma mère dans sa chambre d’enfance, il contient des feuilles de papier, des crayons de bois, qui n’ont pas bougé depuis des dizaines d’années et dont l’odeur fusionne avec celle du meuble.
Une expérience synesthésique ?
Je suis allée récemment au concert de Flavien Berger, un musicien qui fait essentiellement de la musique électronique, mais qui est également chanteur : il additionne sa propre voix sur plusieurs tonalités, cela crée une polyphonie qui correspond à l’art d’accumuler des sons en les harmonisant. Etant corse j’y suis forcément sensible, et pour moi cela est comparable au parfum qui se compose de strates olfactives qui s’harmonisent entre elles.
Il y a certains morceaux de son répertoire qui font d’ailleurs référence au parfum, notamment un qui s’appelle Pamplemousse. Pendant le concert, une odeur de pamplemousse était diffusée dans la salle au moment de ce morceau : inattendu, magique !
Aussi, il y a quelques années, lors de la Nuit Blanche des musées, Trudon avait proposé une installation à l’église Saint Eustache, qui reprenait le chemin du calvaire avec des clous parfumés répandus au sol, certains à l’odeur de terre, d’autres à l’odeur de sang : c’était très prenant.
J’ai pour ma part travaillé avec la mairie du 18ème pour la Nuit Blanche il y a deux ans. La thématique du projet était le mélange des sens. J’avais végétalisé un piano à queue, sous la forme d’un verger en friche : un jardin de graminées, avec des feuilles de figuier, des raisins et la figuration d’un pêcher. Ce genre de projets multisensoriels c’est merveilleux, cela interroge, c’est immersif.
Si le travail de Lou s’articule principalement autour de l’image, son univers est donc multisensoriel. Selon elle, la démarche créative, cette capacité de faire et de faire bien, de raconter quelque chose de pertinent, de savoir assembler les éléments entre eux, en faisant de beaux mariages, est quelque chose qui tient de l’Art. C’est applicable au parfumeur de la même manière qu’à un cuisinier qui va associer des saveurs, au modiste qui crée des vêtements, ou au dessinateur qui manie les couleurs : « Le lien entre Art et Parfum est quelque chose que je lie à un art de vivre, au fait d’encrer les choses dans un moment, avec un lien émotionnel fort. »


