La Galerie Olfactive d’Ugo Charron

Parfumeur Junior chez Mane New York depuis deux ans, la vocation d’Ugo Charron a toujours été portée par des inspirations artistiques.
Originaire de Sancerre, c’est à l’âge de quatorze ans qu’Ugo découvre l’univers olfactif à travers la lecture du Parfum de Patrick Süskind. Suite à une prépa et à l’obtention de son diplôme d’ingénieur en Chimie de la formulation à l’ITECH Lyon, une année de césure lui permet de passer six mois dans le sud de la France au sein de la parfumerie Galimard à Grasse : « A ce moment-là, j’ai vraiment touché du bout du nez le métier de parfumeur, et j’ai compris que c’est ce que je voulais faire. » Il rejoint alors le master ICAP de Montpellier en alternance chez L’Oréal en développement parfums à Chevilly-Larue, puis décide de se consacrer pleinement à la recherche d’un poste en création.
Sa rencontre avec le parfumeur Christophe Laudamiel, qui intervenait sur un MOOC digital de l’ISIPCA, sera déterminante. Après une première collaboration à Miami, où Ugo travaillera à la mise en place d’une œuvre olfactive créée par C. Laudamiel pour le Art Basel Festival, il devient son assistant et élève parfumeur durant quatre années à New York à l’issue desquelles il deviendra parfumeur junior. C’est à ce moment-là, en mars 2020, alors que la pandémie mondiale se profile, qu’Ugo rejoint la société Mane.
Parfumeur et artiste aux multiples talents, découvrons son univers olfactif à travers sa Galerie Olfactive.

« L’une des premières choses que j’ai faite lorsque m’a été donnée la possibilité de créer mes premiers accords à Grasse, c’est l’interprétation olfactive d’une chanson du groupe Bonobo qui s’appelle Kong. »

Dans ce morceau assez lent, Ugo imagine des vagues mélodiques portées par une flûte. Ces sonorités lui évoquent la mer, une mer assez tranquille, proche d’une forêt tropicale : « Je me suis placé en tant qu’évaluateur musical pour essayer de traduire la musique en parfums. J’ai donc joué avec le patchouli et la calone. Cela fait huit ans, mais aujourd’hui encore lorsque je sens ces deux matières dans un parfum, cela me ramène à ce moment. »

Dès ses débuts, le jeune parfumeur aime l’idée d’incorporer le parfum dans des médiums un peu sous représentés, que ce soit dans des musées ou à travers des collaborations artistiques.
Pianiste et guitariste, il fonde avec Clément Mercet en 2019 le groupe de musique électro Cosmic Gardens dont l’univers oscille entre électro-house et mélodies acoustiques. Le groupe se produit notamment au Lincoln Center de NY en juin 2022, lors d’un set multisensoriel pour lequel Ugo crée également un univers olfactif et collabore avec Valentin Delouis, graphiste designer pour l’accompagnement visuel : « Au début, le son est lent, organique, accompagné de Forest Symphony Op. 26, une odeur verte, très naturelle, comme un jardin. Musique simple et acoustique, aux guitares, visuels de forêts proches du logo du groupe. Puis focus sur la planète végétale qui se décroche, monte dans le cosmos, la musique devient plus électronique, la lune apparaît et le parfum Ticket to the moon X10 est proposé, avec une odeur plus abstraite, métallique, ozonique et une pointe de noisette. »
Un nouveau show à 360° est prévu pour Mars 2023 avec un troisième univers à découvrir autour de la mer.

« J’ai toujours écrit, moins maintenant car je suis plus focus sur la musique, mais j’ai toujours aimé cela. »

Et c’est notamment la poésie qui intéresse Ugo, Baudelaire et son spleen en particulier « il y a quelque chose de beau dans sa tourmente ». Etudiant à Montpellier, il découvre l’un de ses poèmes, La muse malade :

Ma pauvre muse, hélas ! Qu’as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour s’étaler sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdâtre et le rose lutin
T’ont-ils versé la peur et l’amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d’un poing despotique et mutin,
T’a-t-il noyée au fond d’un fabuleux Minturnes ?

Je voudrais qu’exhalant l’odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

Charles Baudelaire
Les fleurs du mal

Inspiré par l’univers olfactif propre au poète, Ugo crée Rose Lutin, une formule autour de la rose : « Le poème est très sombre, pour moi c’est une atmosphère très humide, nocturne, froide, taciturne. Cela m’a donné envie de travailler une rose sombre, verdoyante, voire un peu médicinale, à odeur de sous-bois, humide. Le résultat était un peu dérangeant. »
Pour Ugo, la poésie est un moyen d’évasion, permettant de se déconnecter d’un quotidien hyper-actif pour philosopher « mais de manière esthétique ! On peut s’évader, imaginer. A mes yeux, en tant que spectateur, c’est plus créatif que le cinéma ou la peinture par exemple, car cela permet de se représenter son propre univers intérieur. »

Issu du grec ancien « syn » qui signifie union et « aesthesis » qui signifie sensation, la synesthésie est un phénomène neurologique se produisant quand une information destinée à stimuler un sens en sollicite un autre.

Pour Ugo, c’est un booster artistique qui peut être implémenté dans différentes formes d’art : « Ce que j’aime dans la synesthésie c’est le mélange des sens, qui finalement, quelque soit l’art, génère des émotions. Car il y a de l’émotionnel dans l’art, c’est ce qui explique pourquoi une œuvre nous touche et pas une autre. »
Ainsi la peinture peut évoquer des textures, les odeurs peuvent évoquer des formes, des couleurs, la musique des paysages, … « La synesthésie permet ainsi d’emprunter du vocabulaire ou des idées à un sens pour l’appliquer à un autre, explique Ugo. Prenons l’exemple du Bleu Klein, on peut le décrire comme profond, vif, saillant. Dans l’inconscient collectif, le bleu c’est aussi la mer, une mer Bleu Klein pour moi serait une mer immense, mais avec du mouvement, ni paisible, ni très agitée. »
Si l’on se prête à exercice de la synesthésie, pour le parfumeur cela se traduirait olfactivement par une note qui se rapprocherait des notes utilisées pour représenter la violette, avec des ionones, souples, une pointe de lavande, des muscs, avec une note DHM pour le côté plus agressif, plus argenté : « les notes marines m’apparaissent plutôt blanches ou d’un bleu très sombre, le Bleu Klein quant à lui m’évoque une matière souple, soyeuse, enveloppante comme les ionones et les muscs. Un bleu cocooning. »
Musicalement, Ugo imagine « quelque chose de bien balancé, pas trop rapide, autour de 100 BPM, ni trop grave ni trop aigu », ainsi ce pourrait être une mélodie, assez simple, qui tourne en boucle : « trois notes, plutôt majeures que mineures car ce n’est pas un bleu triste, il faudrait essayer… »

« Kandinsky est un artiste que j’adore ! C’est d’ailleurs un bon pont avec la synesthésie car c’était un vrai synesthète. »

Pour Ugo, ce peintre, qui a enseigné le free painting au Bauhaus (école allemande d’arts appliqués) dans les années 20, est une vraie source d’inspiration. Dans le livre Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, Kandinsky tente de théoriser les couleurs, et les formes. Il y parle de couleurs primaires, de formes primaires, et de la manière dont il base toute sa création sur ce principe. Ugo, qui a lu ce livre deux fois et a récemment visité une exposition consacrée à l’artiste au Musée du Guggenheim, adhère à cette vision : « J’aime beaucoup cette représentation de la vie décomposée en choses simples, mais avec lesquelles tu peux tout faire. Je trouve qu’il a une manière très philosophique de voir les choses. »
Plutôt réaliste dans ses premières réalisations, Kandinsky arrive à l’abstraction plutôt vers la fin de sa carrière, période à laquelle il va créer majoritairement avec ses trois formes primaires et ses trois couleurs primaires.

Profitant du temps qu’il avait durant les confinements, Ugo a peint durant un an de sa vie. A la manière de Kandinsky, il n’utilise que les couleurs primaires : « La musique comme la parfumerie sont pour moi des activités plutôt cérébrales et émotionnelles. Dans la peinture ce que je recherche relève plus du lâcher-prise, je ne réfléchis pas, je me laisse guider par mes envies, sans trop intellectualiser. C’est quelque chose de presque méditatif. Ma mère aime également peindre, mais est plus dans le réalisme. Je suis très admiratif de cela mais personnellement je n’en suis pas capable et je préfère garder la peinture comme une sorte de défouloir qui me permet de me laisser aller et de rêver. »


Evoquant à nouveau l’abstraction comme une forme d’art plus propice à l’imagination, tout comme la lecture versus le cinéma, Ugo affirme aimer partir d’une idée pour en proposer une autre … Ne serait-ce finalement pas la définition de l’inspiration ?

Si pour Ugo Charron, le parfum est une œuvre d’art à part entière, il peut également être une illustration olfactive d’une autre forme artistique.
Parfumeur aux multiples influences, il affirme aimer la parfumerie car « c’est de l’art mais pas que ! » Artiste donc, mais avec les pieds sur terre, Ugo aime naviguer entre le côté très créatif du métier, en donnant son interprétation, sa propre vision d’un sujet, et l’aspect scientifique, en gardant bien en tête la nécessité de créer une formule reproductible : « Il y a une définition du métier que j’aime particulièrement et qui résume bien cette pensée, c’est Jean Guichard qui disait cela : Un parfumeur c’est un poète doublé d’un scientifique. »

Je tiens à remercier particulièrement Ugo pour sa disponibilité, sa passion et son partage dans le cadre de la rédaction de cet article.