Parfum, Littérature & Théâtre, Focus sur « Au fil des mots et des odeurs »

Ce dimanche 9 octobre, pour la seconde année consécutive, le parfum entrait au Théâtre de Grasse. Ce rendez-vous, à l’initiative du parfumeur Jean-Claude Ellena, avait cette année pour thème le parfum et la littérature.
Durant presque deux heures, Didier Sandre, sociétaire de la Comédie Française, a partagé la scène avec le parfumeur pour un échange ponctué de lectures de textes d’auteurs à l’écriture synesthésique.

Les théâtres étant emplis du fantôme de Cyrano et de la fameuse tirade des « nez », Didier Sandre choisit de débuter avec un texte du philosophe et académicien Michel Serres rendant hommage à ladite tirade.


L’aspect historique des usages du parfum, notamment à la cour de Versailles au XVIIè siècle, a également été évoqué avec une lecture d’Annick Le Guérer. S’en suivit la lecture de textes évocateurs d’odeurs « suspectes », dites « mauvaises », à travers un extrait du recueil Croquis Parisien de Joris-Karl Huysmans ou encore de Raymond Queneau.


Littéraire, s’intéressant à l’écriture, Jean-Claude Ellena s’est toujours défini comme un « écrivain d’odeurs ». Anti-marketing, en créant un parfum il souhaite non pas créer un produit mais une émotion. S’appuyant sur la base de la mémoire qui est une chose instable, il considère que « de l’instabilité naît la créativité ». La lecture d’un extrait de Jean le Bleu de Giono, inspiration chère à Jean-Claude Ellena puisqu’elle lui a inspiré le parfum Cuir d’ange pour Hermès, illustre cette vision. Le narrateur évoque ici le souvenir du travail de son père, cordonnier, qui fabrique des « souliers en cuir d’ange pour des dieux ailés. »


Didier Sandre évoqua ensuite les expressions liées au sens olfactif : « je ne peux pas le sentir », « sentir à plein nez », « avoir le nez fin », « avoir du flair », « être en odeur de sainteté », « être au parfum » …
Pour exemple, Jean-Claude Ellena explique que l’expression « sentir la cocotte » date du XIXè, époque à laquelle les feuilles de patchouli étaient utilisées en tant qu’anti-mites dans les châles en cachemire. Il était alors coutume que ces châles colorés soient offerts aux femmes légères par leurs amants ce qui donna l’idée aux parfumeurs de créer pour la première fois des parfums à base de patchouli. Ces parfums devinrent les parfums préférés de ces dames, et lorsque les amants en questions rentraient à la maison, leurs épouses reconnaissant l’odeur leur lançaient « tu sens la cocotte ! » De là est née cette expression aujourd’hui employée pour les personnes parfumées à outrance.

A cette liste non exhaustive des thèmes abordés, s’ensuivit une pause musicale avec un extrait de La Tosca de Puccini (hommage aux origines italiennes du parfumeur) et de conclure avec la lecture par Didier Sandre d’un poème de Charles Baudelaire Harmonie du soir :

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !