
C’est porté par un vent parfumé qu’Alexis Dadier arrive à la création olfactive. Suite à une maîtrise de gestion à Dauphine et à un master HEC en marketing, il intègre la Maison Dior en tant que chef de produit sur le développement parfums. Une opportunité qui va orienter, ou plutôt réorienter sa carrière toute entière. Mane lui propose alors de le former à la parfumerie. Redevenu élève, il sera apprenti parfumeur à Grasse durant trois années, avant de rejoindre les bureaux parisiens de la société en tant que Parfumeur Fine Fragrance.
Une dizaine d’années plus tard, il intègre la société Symrise, puis IFF, et Robertet où il est aujourd’hui Parfumeur Senior Fine Fragrance. Passionné par la nature, le végétal et le naturel, il y trouve un terrain d’expression sur-mesure. Ce lien avec la nature va d’ailleurs être le fil conducteur de sa Galerie Olfactive. Que ce soit dans le cadre de représentations picturales, dans la musique ou dans sa parfumerie, elle est un sujet central dans les choix esthétiques de ce parfumeur qui nous invite ici à découvrir son univers empreint de naturalité et de poésie !

Il est une collaboration artistique qu’Alexis Dadier a menée avec un ami auteur, Jean-Luc Komada, un livre sur Belle-Île, ses odeurs, et le processus de création d’un parfum via un lieu.
Jean-Luc Komada, parisien d’origine, a toujours vécu sur l’île où ses parents ont construit leur maison. Ses souvenirs, ses poésies, sont ainsi empreints d’émotion, et sont le reflet d’un terroir au caractère naïf. Atmosphères de Belle-Île-en-mer est paru cet été aux Editions Baudelaire.
Pour le parfumeur, Belle-Île-en-mer est un lieu très inspirant, un paradis terrestre, très préservé, où la nature est belle, sauvage, et où les odeurs sont très perceptibles. Ici se rencontrent des notes végétales -de la feuille de figuier à l’immortelle, en passant par les notes florales miellées des genêts et du mimosa- et des notes marines, iodées, portées par la mer.
Ces parfums, ces odeurs qu’offre la nature, permettent à Alexis d’enrichir sa banque de données olfactives. Ainsi elles peuvent devenir le point de départ d’une future création pour laquelle il puisera l’inspiration dans son patrimoine olfactif, lui conférant par là sa propre personnalité.
Via ce projet littéraire, le parfumeur a également vu un moyen de s’exprimer sur le parfum autour duquel on communique encore trop peu. Grand lecteur, amoureux des mots, selon lui : « Il n’y a rien de plus formidable que des mots bien écrits, cela peut parfois faire voyager plus qu’une image. »
Cet exercice l’a conduit à imaginer le parfum de Sarah Bernhardt, actrice qui résida sur l’île, à la Pointe des Poulains. Pour Alexis, ce dernier serait composé d’un accord à base d’immortelle, hommage à son succès, que le vent marin viendrait contraster de sa fraîcheur tout en portant avec lui des effluves gourmandes de caramel au beurre salé. Un verre de Suze à la main, l’amertume de la gentiane viendrait compléter cet accord sucré-salé, arrondi par les notes poudrées de quelques violettes épinglées à sa robe.

Alexis Dadier a repris le piano il y a un an et demi, au moment du confinement, ce qui fait aujourd’hui de sa page Instagram un univers aussi musical que parfumé ! Au hasard d’une écoute, son travail s’est orienté vers Brahms et plus particulièrement l’Intermezzo numéro 2, Opus 117.
Particulièrement attiré par la musique fin XIXème début XXème et par les sonorités entre le classique et l’avant-gardisme, il apprécie des compositeurs tels que Satie, Debussy, Rachmaninov, ou encore Beethoven « pour son côté révolté et révolutionnaire ». Chez Brahms, qu’il connaissait peu, c’est le raffinement qui l’a séduit, l’inattendu, la sophistication avec un certain naturel.
Il s’est alors posé la question de savoir comment il interpréterait cette musique en parfum, et les idées sont venues assez naturellement : « Au niveau du jeu de mains déjà, sur ce morceau, main gauche et main droite sont très entrelacées, on ne sait jamais qui joue quoi. Pour moi cela fait l’effet d’une vague, c’est quelque chose de très lié, très coulant, qui monte et qui descend, tel le ressac de la mer. Parfois le rythme s’accélère un peu, on peut alors imaginer une écume supplémentaire ou une algue qui s’échoue sur le sable. Et typiquement pour moi, à la fin du morceau, là où le son vient mourir peu à peu, c’est comme la mer au crépuscule, quand le ressac devient quasi imperceptible. » Ainsi en découlerait une fragrance un peu aqueuse, saline, agrémentée de l’odeur du sable, minérale, et de quelques remous, avec des notes d’algues, plus sombres, presque dissonantes, à l’image des bouleversements que l’on entend dans la musique. Un parfum comme une illustration de ce sentiment que l’on ressent parfois face à la mer: « On regarde l’horizon, c’est à la fois mélancolique et plein d’espoir. Il y a aussi un peu de cela dans cette musique. »

« Il y a un travail que j’avais fait chez IFF qui était l’illustration olfactive d’une œuvre d’Olafur Eliasson, qui est un artiste qui fait du land art et qui, lors d’une expo à Versailles, avait notamment proposé une œuvre nommée Waterfall, telle une cascade géante installée dans les bassins royaux. »
Si l’artiste contemporain s’est joué des contrastes entre verticalité et horizontalité, débit rapide de la cascade et immobilité du grand canal, il en va de même pour le parfumeur qui a opposé l’eau des bassins et de la chute d’eau, au végétal des travées d’arbres environnantes, très vertes, très foncées, qui donnent la perspective des jardins de Versailles : « J’ai composé mon parfum en essayant de retrouver les sensations que l’on peut voir sur cette photo, c’est à dire, d’une part, le vert foncé, avec une note très boisée, à base de cèdre, et une tonalité laurier très prononcée, le laurier étant justement un arbre au feuillage très foncé pouvant rappeler Louis XIV, avec ce côté un peu mégalo à l’image de la couronne de lauriers de César ou encore des lauriers de la victoire. Et d’autre part, évidemment un côté très aqueux, avec un effet très frais, comme un « splash », illustrant cette cascade, car ce n’est pas de l’eau qui glisse, c’est aussi et surtout cette chute d’eau. »
Pour Alexis un parfum réussi doit être contrasté, avoir un peu de « love and hate », pour interpeller et éveiller les sens. Utiliser le laurier était un vrai parti pris du créateur, car c’est une matière à deux dimensions, à la fois un côté très vert, feuille, évoquant le vert sombre, et une grande fraîcheur aromatique à l’image d’une lavande ou d’un romarin : « Il y a peu de parfums qui revendiquent le laurier, c’est très typé et je trouvais cela intéressant pour marquer les esprits. »
La photographie en noir et blanc est une chose qui a toujours passionné Alexis Dadier. et plus particulièrement un photographe qui l’a beaucoup inspiré : Jacques-Henri Lartigue, surnommé « photographe du bonheur », dont certains des albums tels que Riviera, sur la Côte d’Azur, ou d’autres sur la côte basque, présentent des photos d’une grande élégance, avec une représentation rêvée de ces paysages côtiers des années 20 : « C’est toujours très bien cadré, avec une très belle lumière, des effets de matière, et je trouve ça très beau. »
Photographe amateur, Alexis s’est lui-même prêté à l’exercice en réalisant ses propres photos en argentique : « Ce que j’aimais, c’était la découverte, au moment où je développais mes photos dans la chambre noire, voir apparaître l’image sur le papier. C’était finalement le même process, la même excitation, que lorsque vous débouchez le flacon que vous a préparé votre assistante, dans lequel se trouve le parfum qui correspond à votre formule. »
Une photo le suit d’ailleurs depuis longtemps (cf seconde photo). Habitant Antibes les trois années durant lesquelles il étudia la parfumerie à Grasse, et suivant les pas de Jacques-Henri Lartigue, il fit de nombreux clichés de la Riviera et cette photo de la Promenade des Anglais à Nice est aujourd’hui toujours dans son bureau : « Mes choix esthétiques se portent principalement sur des photos en extérieur, toujours ce lien à la nature, et toujours en argentique, je trouve qu’il y a une grande poésie là dedans. »

Jean Picart Le Doux, peintre illustrateur et tapissier des années 50, élève de Jean Lurça, est également un de ceux qui a remis au goût du jour de ces années-là la tapisserie d’Aubusson. Alexis Dadier possède plusieurs de ces dernières, très colorées avec un côté très symboliste, et une synesthésie qu’il trouve très inspirante.
La lithographie représentée ici se trouve dans le bureau du parfumeur. En plus de la symbolique végétale et du camaïeu de couleurs onirique, l’artiste, comme souvent dans ses œuvres, a intégré du texte, ici une poésie de Robert Desnos :
« Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de cœur
Au bout des racines il était la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre. »
A la manière d’Emile Gallé, qui insérait également des phrases poétiques dans ses verreries, pour Alexis c’est un moyen d’enrichir l’œuvre d’un contenu verbal, de lui donner une autre dimension.
Les œuvres de Picart Le Doux sont toujours le reflet d’un lien très fort entre l’homme et la nature : « L’omniprésence de la nature, à la fois dans ce qu’elle représente pour l’homme qui y vit mais aussi dans sa beauté, avec cette esthétique post Art déco et cette représentation naïve, très poétique des choses, est ce qui me touche particulièrement dans les illustrations et les tapisseries de cet artiste. »
Tour à tour parfumeur, pianiste, photographe, Alexis aime également se prêter à l’exercice de l’écriture. Ainsi est né Aliocha, Parfums, Légendes et Botanique, un conte olfactif inspiré de l’un des lieux de vacances favoris du parfumeur, Talloires, au bord du lac d’Annecy. Un Harry Potter de la botanique à qui il arrive de multiples aventures, chacune illustrée par un parfum à sentir au cours de la lecture afin d’apporter une dimension olfactive à l’histoire. Un récit achevé, tout comme les fragrances qui l’accompagnent, et qui n’attend qu’un éditeur curieux pour rencontrer son public.
Pour Alexis Dadier, qui vécu longtemps dans l’ancien atelier parisien du peintre Matisse, le métier de parfumeur nécessite une vision artistique : « Il faut pouvoir s’inspirer pour créer quelque chose d’inspirant », l’important étant d’être capable de susciter une émotion, afin que la personne qui sent puisse s’approprier le parfum : « J’ai besoin de sincérité, donc j’essaie de mettre un peu de moi-même, de mes inspirations, dans les parfums que je crée. »
Des inspirations qui, nous l’aurons compris, ont toujours un lien avec la nature, cette dernière étant au cœur des choix artistiques de ce parfumeur qui dit aimer s’entourer de verdure : « C’est un bien-être, ça met de la vie, de la gaieté, un peu de couleurs aussi ! » des couleurs qu’il apporte également à ses créations par l’intermédiaire des plus belles matières premières naturelles composant sa palette olfactive. Ou quand la nature passe de l’inspiration au flacon.
Je tiens à remercier tout particulièrement Alexis Dadier pour sa confiance, sa générosité et son intérêt pour cette démarche olfactive et artistique.


