
« Elle ne porte rien d’autre qu’un peu d’essence de Guerlain dans les cheveux », c’est ainsi que Serge Gainsbourg évoque, par le parfum, la sensualité de Brigitte Bardot dans sa chanson Initials BB. Très présent dans la poésie, le parfum trouve également sa place en musique, tant actuelle que classique avec notamment Les parfums de la nuit de Claude Debussy. Sorte de poésie impressionniste, cette musique passionnée, au rythme d’habanera (danse cubaine popularisée par le Carmen de Bizet), est le deuxième volet du triptyque musical Iberia que Debussy achève en 1908.
Vecteurs d’émotions, les odeurs et les sons sont sans doute les deux sensations ayant la faculté et le pouvoir évocateur de nous faire voyager en quelques notes.
« Notes », « accords », « harmonies », « composition », nous ne reviendrons d’ailleurs pas sur ce lien évident qu’est le vocabulaire, vocabulaire qui aurait été emprunté à la Musique pour élever le Parfum au rang d’Art, mais tenterons d’aller au delà pour montrer que bien d’autres passerelles existent entre ces deux domaines artistiques.
Diplômé de piano classique et jazz au Conservatoire national de Lyon, c’est sa rencontre avec Jean Kerléo qui fera débuter sa carrière en parfumerie à Laurent Assoulen : « Il m’a fait sentir la concrète de jasmin »Sentez-ça », la façon dont il l’a dit m’a fait réaliser que la parfumerie était un monde de gens passionnés, et la sensibilité de ces gens m’a touché. »
D’abord Key account manager en Fine Fragrance pour de grandes maisons de création telles que Quest, Robertet ou Takasago, c’est donc dans une démarche avec une vraie logique de projet que Laurent Assoulen aborde le lien entre Parfum et Musique.
Loin de la dimension poétique ou légère qui lie parfois ces deux domaines, il entame une recherche authentique, et réalise que pour lui la perception relève de la vibration. Afin de mieux comprendre cette intuition, il se rapproche alors de spécialistes tels que médecins ORL, ou encore neuro-scientifiques. L’objectif est de comprendre comment fonctionne le phénomène de vibration ressenti. Ce n’est que bien plus tard qu’il découvrira la théorie de Luca Turin (Turin’s vibration theory of olfaction) selon laquelle les récepteurs olfactifs détecteraient les vibrations internes des molécules.
Au delà de la vibration, Laurent Assoulen relèvera également le parallèle qui peut être fait entre les notes de musique et la pyramide olfactive. Ainsi, de même que les notes de tête, cœur et fond, le piano présente des aigus, des médiums et des graves.
Une vision partagée par Fabrice Pellegrin, parfumeur de la maison Firmenich, qui reconnaît classifier les odeurs comme en musique : « Pour moi il y a les graves, qui sont des notes plus rondes, plus chaudes, plus sensuelles, qui sont là pour donner de la matière, du volume au parfum. Et ensuite il y a les aigus, qui sont des notes très perçantes, très fusantes, qui vont amener de l’entrée au parfum et qui vont étirer la note. ».
Ainsi, des instruments comme la contrebasse représentent à ses yeux ces sons chauds et enveloppants, que l’on peut retrouver dans certaines matières premières comme par exemple les notes santalées, vanillées, baumées, en opposition aux notes plus stridentes, métalliques, que peuvent évoquer certains instruments à vent ou à cordes.

Lorsque Fabrice pellegrin interprète olfactivement la chanson Like a Virgin de Madonna pour la marque Art meets Art, c’est le titre plus que la mélodie qui l’inspire. La fleur d’oranger et le lait étant deux odeurs évoquant pour lui le côté virginal et candide, c’est autour de ce duo d’ingrédients qu’il construit le parfum.
A l’inverse, quand Paco Rabanne lui demande d’interpréter un morceau d’Iggy pop pour Black XS l’Excès, ce sont les sonorités très métalliques, électro, les riffs de guitare qui vont l’inspirer et auxquelles ils associera des notes très vertes, type galbanum, feuille de violette ou encore fruitées type ananas.
Ainsi il existe pour lui deux registres d’interprétation d’une musique en parfum : le premier degré, qui consiste en une compréhension très directe, lisible, facile à comprendre, ou bien le travail de quelque chose de plus évocateur, des sons, ses sensations provoquées par le morceau.
Nathalie Lorson, maître-parfumeur pour la même maison, s’est également prêtée au jeu de la création musicale, et notamment en 2015 à la demande du pianiste Lang Lang. Elle proposera alors une interprétation parfumée de six accords, ou émotions, chers au musicien. Ainsi chaque émotion sera représentée olfactivement par ses créations et musicalement au piano par Lang Lang lui même.
Le ravissement sera illustré par une note musquée réconfortante et une musique de plénitude, le feu par le poivre qui sera travaillé pour exprimer toute l’énergie vibrante de la musique, la joie par un kumquat à l’image des notes musicales à l’envolée joyeuse et spontanée, l’addiction par des notes boisées sensuelles et une mélodie envoûtante, l’éveil par le jasmin, symbole de floralité et de naturalité que Lang Lang illustre de notes légères et délicates, et enfin la rêverie par le bois de kyara, bois japonais brûlé afin d’éveiller à la spiritualité de la musique.
Combinées par la suite, ces six émotions olfactives donneront naissance à deux fragrances, une masculine et une féminine.
Revenant à sa première passion qu’est la musique, Laurent Assoulen n’en oublie pas pour autant le parfum. Et c’est lors de son travail pour ses « Concerts Parfumés », qu’il tente l’expérience d’écouter les matières premières via les notes de son piano. Ainsi les citrus, notes de têtes, sonnent aigu, les basses sonnent boisé, vanillé. De la même manière dans un orchestre symphonique, il réalise que les violons devant, les percussions en fond et les soufflants au milieu peuvent également suivre cette logique acoustique et olfactive. En poussant l’analyse des matières premières, il comprend enfin qu’il y a des matières rapides, ou plus lentes, que l’on peut adapter à un tempo et ceci en fonction de la volatilité des molécules. Il travaillera ainsi avec de grands noms de la parfumerie afin d’illustrer olfactivement cinq morceaux de sa composition.
Ainsi, lors de sa tournée, en posant la question dans différents pays, à des personnes avec des références culturelles différentes, il réalise que ce ressenti semble universel puisque pour 90% du public le citron a une sonorité aiguë. Suite à l’album Musiscent travaillé en 2008 avec Guillaume Flavigny, il crée l’album Sentire, sorti en 2015 en collaboration artistique avec les parfumeurs de la maison IFF Anne Flipo, Carlos Benaïm et Napoleão Bastos, qui permet à chacun de vivre l’expérience et d’écouter la musique en sentant les parfums associés par l’intermédiaire de patchs olfactifs fournis dans le livret de l’album.
Lors de ces concerts certains diront « J’entends mieux la musique grâce au parfum. », à l’inverse il arrive que la musique soit évocatrice à son tour. Fabrice Pellegrin explique par exemple avoir besoin d’une ambiance musicale pour travailler. Dans son bureau parisien, il a donc un fond sonore permanent. Ainsi, tandis que certains morceaux ne le touchent pas spécialement, d’autres vont l’interpeller, lui permettre d’y associer des matières premières et de créer un univers olfactif à partir de cette musique. Il arrive également que les marques briefent les parfumeurs en leur proposant, au même titre qu’un univers visuel, une inspiration musicale. Musique qui souvent ne sera finalement pas la musique utilisée pour la communication au moment du lancement du parfum. Mais qu’en est-il alors de ce choix quant à la musique choisie pour illustrer la communication d’un parfum ?
Les marques, de la même manière qu’elles vont briefer le parfumeur, briefent des agences de communication ou le studio interne sur l’émotion, l’onirisme, l’univers du parfum. Selon Karelle Labal, Chef de groupe Parfum : « Image et musique se complètent, la musique accompagne l’image ou l’équilibre. Elle peut donner un rythme, du relief, à la représentation visuelle de la fragrance. » Ainsi, le montage du film se fait souvent en fonction de la musique.
Choix marketing, qui interpelle, attire l’œil sur un film, des images, une égérie, dont l’univers va ensuite donner envie de découvrir le parfum, la musique peut vite devenir très identitaire à une fragrance. Citons These Boots Are Made For Walkin’ de Nancy Sinatra pour La Petite Robe Noire de Guerlain, Mutant Brain de Spiegel & Ape Drums pour Kenzo World, ou encore Heavy Cross de Gossip pour J’adore de Dior, chacune de ces musiques nous renvoie immédiatement au parfum qu’elle illustre.
Tout comme l’égérie, la musique est donc une représentation symbolique du parfum.
Il est possible de faire appel à un « sound designer » pour créer une musique spécialement dédiée au parfum. Le choix peut aussi se porter sur un(e) interprète à forte notoriété, avec lequel un partenariat va être mise en place pour des évènements liés à la communication parfum.
Enfin, certaines marques font également le choix d’impliquer l’égérie dans la bande son, comme par exemple Johnny Depp à la guitare pour Dior ou plus récemment la chanteuse britannique Dua Lipa visage du dernier parfum YSL mais aussi interprète de la reprise de la chanson I’m Free du groupe d’indie pop britannique The Soup Dragons qui illustre le film.
Ainsi, le parfum comme la musique permet de créer un univers, l’association des deux ne faisant que renforcer ce sentiment immersif. De la gamme musicale à celle du parfumeur (rassemblant des milliers de notes olfactives) les possibilités sont infinies. Et si son et olfaction se répondent, il est de plus en plus de créateurs qui les font dialoguer pour mieux nous faire voyager.
Je tiens à remercier sincèrement Monsieur Laurent Assoulen, Monsieur Fabrice Pellegrin et Madame Karelle Labal pour leur contribution à cet article.
L’album « Sentire » de L. Assoulen est toujours disponible ainsi que sa récente marque de parfum « Parfums de Nietzsche », liant parfum et philosophie, un voyage intérieur, comme celui avec la musique.
